Cette semaine marque la sortie d’une réinterprétation moderne de l’une des nouvelles les plus célèbres d’Edgar Allan Poe. La série de Mike Flanagan utilise La Chute de la Maison Usher comme point d’entrée pour se balader librement parmi les meilleurs écrits de l’écrivain américain. Il n’est pourtant pas le premier à avoir adapté Poe, loin s’en faut. De Baudelaire à Serge Gainsbourg en passant par Fritz Lang et Tim Burton, nombreux sont les artistes sur qui l’ombre funeste du poète maudit a pu peser au fil des années.
L’occasion pour nous de jeter un œil à ces adaptations ensemble.
10. Twixt
À la dernière position de ce palmarès se situe le spectral Twixt. Évaporé des esprits encore plus vite qu’un ectoplasme (ou un mauvais rêve, selon la majorité écrasante des critiques de l’époque), ce film de Francis Ford Coppola n’est techniquement pas une adaptation de Poe. Non, il s’agit ici d’une histoire originale écrite par le réalisateur pour faire le deuil de son fils, 25 après sa mort accidentelle. Basé sur un cauchemar fait par Coppola, ce film horrifique raconte l’histoire d’un romancier (incarné par Val Kilmer) qui est visité dans ses cauchemars par les fantômes d’une jeune fille (Elle Fanning) et d’Edgar Allan Poe lui-même (Ben Chaplin). Ici pas de référence directe à une nouvelle de Poe en particulier mais à toutes les thématiques chères à son auteur (logique onirique, la figure du double, la hantise engendrée par un sentiment de culpabilité, une jeune femme terrassée par la mort bien avant son heure…).
Injustement bafoué par la critique à sa sortie, le principal pêché de ce film de Coppola réside dans le fait que nous ayons affaire à un film de Coppola. Beaucoup attendaient quelque chose de la trempe de son adaptation de Dracula, ce qui est loin d’être le cas. Soyons honnêtes, peu de gens placeraient Twixt ne serait-ce que dans le top dix des meilleurs films du réalisateur. Si l’on met toutefois cette déception de côté, on a le plaisir de (re)découvrir une œuvre singulière et touchante qui a le mérite de nous replonger dans l’esprit des meilleures nouvelles du maître du macabre.
Twixt est disponible en streaming sur la plateforme Shadowz et sur la plupart des sites de VOD.
9. Extraordinary Tales
Cette première adaptation animée de la bibliographie de Poe se situe hélas à l’avant-dernière place de cette liste. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne vaut pas le détour pour autant, bien au contraire.
En dépit d’un casting de premier choix (dont le très remarqué Christopher Lee ou encore Guillermo Del Toro), ce film est passé totalement inaperçu à sa sortie en 2013. Les récits courts s’y enchaînent, articulés autour d’un fil rouge particulièrement inventif. Un corbeau (doublé par Roger Corman sur qui nous reviendrons plus bas) présenté comme la réincarnation de Poe lui-même entre en conversation avec la statue d’une femme mystérieuse. Celle-ci lui fait revisiter ses propres histoires, immortalisées par les statues de leurs héroïnes défuntes. Au fil des récits, l’identité de son énigmatique interlocutrice sera révélée petit à petit.
Ce qui fait la grande originalité d’Extraordinary Tales se révèlera malheureusement être son principal défaut : chaque histoire de cette anthologie possède un style totalement différent. Si une grande majorité d’entre elles est particulièrement réussie, l’esthétique de l’avant-dernière a pu rebuter bien des spectateurs.
Ce film d’animation du réalisateur espagnol Raul Garcia parlera malgré tout aux aficionados du cinéma d’animation comme à celles et ceux qui souhaitent découvrir l’œuvre de Poe à travers un prisme original. Les conversations macabres entre le corbeau et la statue viennent apporter un éclairage introspectif inédit pour qui souhaiterait en découvrir un peu plus sur l’histoire tourmentée d’Edgar Allan Poe, le tout enveloppé dans une atmosphère poétique.
Extraordinary Tales est disponible à la location et à l’achat sur YouTube en VOSTFR.
8. Le Chat Noir
À l’instar de Mary Shelley, de Bram Stoker ou d’H.P. Lovecraft, Edgar Allan Poe est l’un de ces auteurs dont on aime bien caser le nom pour attirer les foules. Cela ne signifie pas que toutes ces adaptations sont de bonne facture, ni même que celles-ci méritent cette appellation. C’est le cas de cette très mauvaise adaptation de la nouvelle éponyme d’E. A. Poe.
Pourquoi l’avoir mise dans cette liste ? Car qui dit mauvaise adaptation ne dit pas nécessairement mauvais film, comme le prouve cette œuvre qui aurait gagné à porter n’importe quel autre titre. Elle a toutefois le mérite de réunir Boris Karloff et Bela Lugosi, tous deux entrés dans la légende pour avoir interprété respectivement la créature de Frankenstein et Dracula. Bien qu’il ne s’agisse pas là du seul film à les avoir réunis, il s’agit potentiellement du meilleur. Il contient également une interprétation à contre-emploi magistrale de la part de Lugosi. Le tout dans un film qui, bien que s’éloignant totalement de la nouvelle originale, contient de nombreuses thématiques chères à Poe, enveloppées dans une noirceur que l’on ne reverra plus dans le cinéma horrifique Hollywoodien avant une trentaine d’années.
Sans doute l’adaptation la plus complexe à se procurer de cette liste, elle est pourtant sortie en combo Blu-Ray/DVD dans nos contrées et se trouve facilement d’occasion sur internet.
7. Le Simpson Horror Show I
Pour bon nombre d’enfants des années 90, Les Simpsons faisaient office de premier contact avec de nombreuses œuvres de la culture populaire « pour adultes ». Ce fut le cas de votre serviteur lorsqu’il découvrit de nombreuses histoires horrifiques à travers des parodies absolument brillantes. Ainsi ai-je découvert Freddy Krueger, Pinhead, Jason Vorhees, Jack Torrance et bien d’autres figures phares du genre avant même d’avoir vu un seul des films dont ils proviennent. Les Simpsons sont aussi la raison pour laquelle je suis tombé dans les contes d’Allan Poe quand j’étais petit.
La saison 2 de la série de Matt Groening contenait le premier épisode de la tradition automnale du Simpson Horror Show (Treehouse of Horror en VO). Cet épisode d’Halloween se concluait sur une adaptation étonnamment fidèle du Corbeau d’Edgar Allan Poe. Faisant le choix surprenant de laisser une place secondaire à l’humour, ce court segment contenait l’intégralité du poème original (narré par l’irremplaçable James Earl Jones, l’homme derrière les voix emblématiques de Dark Vador et Mufasa) entrecoupé par quelques moments humoristiques. Les Simpsons au sommet de leur art.
Les Simpsons sont disponibles dans leur intégralité sur Disney +. Si toutefois vous ne souhaitez pas donner votre argent à « la mascotte d’une société malfaisante », cette séquence est également disponible sur YouTube.
6. Le Cœur Révélateur
Première adaptation du Cœur Révélateur de Poe de notre liste, ce court-métrage de vingt minutes a été réalisé par Jules Dassin. Non content d’avoir enfanté le chanteur de l’Été Indien et des Champs-Élysées, ce cinéaste injustement oublié de nos jours a également mis en scène l’un des plus grands films noirs français : Du Rififi Chez Les Hommes (précurseur des plus grands films de braquages, de Ocean’s Eleven à Reservoir Dogs).
Transformant ici l’histoire gothique sordide de Poe en tragédie humaniste, cette courte adaptation est une jolie façon de découvrir cette nouvelle pour qui ne l’aurait pas lue.
Disponible dans son intégralité en VO dans son titre original (autrement plus poétique) The Tell-Tale Heart. Bien que la version française semble quasiment impossible à trouver, cette adaptation ne contient que très peu de dialogues.
5. Vincent
Tim Burton a passé une enfance solitaire dans la banlieue pavillonnaire ultra formatée de Burbank (qui lui servira d’inspiration directe pour la ville insipide à laquelle se retrouve confronté le héros éponyme d’Edward Aux Mains d’Argent). Pour échapper à la morosité de son quotidien, le jeune cinéaste trouvera très vite refuge auprès du cinéma horrifique : l’expressionnisme allemand des années 20, le Frankenstein de 1931, les films britanniques des studios Hammer, les séries B en noir et blanc qu’il dévorait chaque samedi soir à la télévision…
Mais le coup de cœur qui définira le début de sa carrière sera sa découverte du cycle Edgar Poe de Roger Corman.
Figure de proue du cinéma indépendant Américain (à une époque où les studios dominaient encore totalement le cinéma Hollywoodien), Corman adaptera pas moins de huit œuvres d’Edgar Allan Poe dont la majorité auront pour interprète Vincent Price. L’acteur légendaire fascinera le jeune Burton au point que ce dernier écrira un court-métrage en son hommage. Vincent relate l’histoire d’un petit garçon de sept ans qui rêve de devenir comme l’immense acteur qui partage son prénom quand il sera grand. Rédigé en vers, ce bijou d’animation en stop-motion de six minutes fait aussi écho à l’un des poèmes les plus emblématiques de Poe : Le Corbeau.
À noter que d’autres travaux découleront de l’admiration de Burton pour Price. Outre sa voix-off dans Vincent, ce dernier introduira l’adaptation d’Hansel & Gretel de Burton (lors de la seule et unique diffusion à la télévision de film sur Disney Channel en 1983) et interprétera le « père » d’Edward aux Mains D’Argent. Mais son rôle le plus touchant sera peut-être celui qu’il n’incarnera jamais : celui de Bela Lugosi dans Ed Wood, dont la relation avec le jeune cinéaste fait directement référence à celle qu’entretenait Price avec Tim Burton.
Vincent est disponible gratuitement et dans son intégralité sur YouTube.
4. La Chute de la Maison Usher
Cocorico. Cette remarquable adaptation de La Chute de La Maison Usher bien gauloise nous est offerte par un Jean Epstein au sommet de son art. Nous avons affaire à un chef d’œuvre du film muet et à un cinéma français d’une audace grandiloquente comme il peine à en offrir depuis de bien trop nombreuses décennies.
Ne suivant pas à la lettre le récit original de Poe, cette adaptation parvient pourtant à en extraire toute l’essence onirique pour nous en mettre plein les yeux. Rythmé par un sens du montage savamment maîtrisé et une mise en scène enrichie par un usage des surimpressions bien singulier, cette Chute de la Maison Usher donnera l’impression au spectateur de plonger dans un sommeil sombre et profond.
Cette adaptation de The Fall of the House of Usher est disponible gratuitement et dans son intégralité sur YouTube.
3. La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, 1er intégrale
Une fois n’est pas coutume, voici une adaptation non pas cinématographique, mais bien en bande-dessinée de l’univers de Poe. Si Alan Moore a pu être très malchanceux lorsqu’il s’agit de voir ses propres créations adaptées au cinéma, il reste néanmoins coutumier des hommages, pastiches et déconstructions brillantes d’auteurs emblématiques du paysage littéraire mondiale. Sa Ligue des Gentlemen Extraordinaires (illustrée parfaitement par le regretté Kevin O’Neill) est l’exemple parfait de ce talent inné. Composé exclusivement de personnages et de lieux issus d’histoires fictives du monde entier, cette série vertigineuse raconte les aventures d’un groupe de héros issus de diverses œuvres littéraires (Sherlock Holmes, James Bond, Dracula, Vingt Mille Lieues Sous Les Mers…). Et il fallait bien qu’ils croisent sur leur route des personnages créés par Poe à un moment ou un autre.
Le premier volume de La Ligue contient une halte en France, où les héros de la série se retrouvent à la Rue Morgue, pour élucider de nouveaux meurtres. Ils sont aidés par le brillant détective Charles Auguste Dupin, issu des pages de la trilogie d’histoires policières d’Edgar Allan Poe. On réalisera très vite que le coupable n’est finalement pas le même que dans l’histoire originale.
Poe a été adapté de très nombreuses fois dans le monde de la bande-dessinée, qu’il s’agisse de réinterprétations très libres (comme dans les pages d’EC Comics) ou d’illustrations très scrupuleuses comme chez le maestro du 9ème art argentin Alberto Breccia. Mais peu y sont parvenu avec autant d’irrévérence et d’érudition qu’Alan Moore et Kevin O’Neill.
Le premier volume de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires se procure très facilement dans vos librairies, bibliothèques, médiathèques et sites marchands spécialisés.
2. The Tell-Tale Heart
Deuxième court-métrage du réalisateur de The Northman, Robert Eggers, cette adaptation audacieuse du Cœur Révélateur de Poe est peut-être aussi sa meilleure. Aucune autre n’est autant parvenu à restituer ce que Sigmund Freud appelait l’unheimliche. Ce sentiment complexe à décrire (que l’on retrouve dans les meilleurs récits gothiques et horrifiques, du Marchand de Sable de Hoffman au Shining de Stanley Kubrick) a été parfois traduit par « l’inquiétante familiarité ». Bien qu’il ne s’agisse pas là de la traduction française la plus populaire de ce terme, c’est pourtant celle qui transpose le mieux ce concept allemand qui traverse toute la bibliographie de Poe, et plus particulièrement sa nouvelle Le Cœur Révélateur. En brouillant les pistes entre la psychologie intérieure du protagoniste et son monde extérieur, cette histoire sordide parvient à mettre le lecteur mal à l’aise en tirant le tapis sous ses pieds au moment où il pense avoir cerné ce qui se déroule sous ses yeux.
Ce type particulier d’horreur que l’on trouve dans de nombreuses histoires séminales du genre gothique fonctionne sur son audience en injectant un sentiment sordide et d’anormal dans une situation familière. Ce qui est mis ici intelligemment en images par Eggers en utilisant une marionnette grandeur nature malsaine pour interpréter l’un des protagonistes. Qu’importe ce que l’on pense de ce court-métrage, aucune autre adaptation de Poe n’a su restituer ce sentiment si particulier aussi parfaitement à l’écran auparavant.
Si d’Eggers, vous ne connaissez que The Northman, vous pourriez être particulièrement déconcertés par ce court-métrage. Lorgnant plus du côté du rythme lent de The Witch et de la mise en scène expérimentale de The Lighthouse, ce court montre déjà les prémices du futur style idiosyncratique de ce réalisateur unique. De quoi servir d’amuse-bouche en attendant son adaptation de Nosferatu dans laquelle nous retrouverons Bill Skarsgård, Lily-Rose Depp, Anya Taylor-Joy, ou encore Willem Dafoe.
Tout comme l’adaptation de cette nouvelle évoquée précédemment, The Tell-Tale Heart, est introuvable en français. Mais son absence quasi-totale de dialogues rendent sa compréhension particulièrement facile, et ce court-métrage est disponible dans son intégralité sur YouTube et sur Vimeo.
1. Le Masque de la Mort Rouge
Pouvait-il vraiment en être autrement ? Lorsque le réalisateur Roger Corman décide d’adapter pour la première fois les récits de Poe au cinéma en 1960, c’est une véritable révolution. Fatigué du manque de reconnaissance et de créativité du Hollywood des années 50, il se décide à enchaîner les films de drive-in à petit budget. Leur succès lui permettra d’obtenir un plus gros budget pour son premier film en couleur : La Chute de la Maison Usher.
En dépit de la prise de risque que représentait ce projet (les horror movies qui fonctionnent aux États-Unis à ce moment-là étaient cheap et en noir et blanc, et la concurrence du studio britannique de la Hammer se faisait déjà ressentir) le succès sera considérable. Ce premier film marque aussi la première collaboration de Corman avec Vincent Price. Comédien qui deviendra dès lors indissociable des adaptations de l’œuvre d’Edgar Allan Poe au cinéma.
Mais c’est un autre film du cycle Poe-Corman qui nous intéresse aujourd’hui : Le Masque de La Mort Rouge. Quintessence du travail des deux monuments du cinéma, il s’agit sans doute de leur adaptation la plus aboutie. La photographie du futur réalisateur Nicolas Roeg et la direction artistique colorée (rehaussée par un technicolor sublime) lui confèrent une atmosphère de conte gothique d’une noirceur rarement égalée.
Cette adaptation incontournable de Poe est disponible en streaming sur Shadowz et Molotov.